16 Sep
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CEDH 6 juin 2023, Pitsiladi et Vasilellis c/ Grèce, nos 5049/14 et 5122/14

"50. La Cour note qu’en l’espèce les requérants ne prétendent pas que leur fils s’est vu refuser des soins médicaux, qui étaient par ailleurs disponibles en Grèce, et qu’ils ne se plaignent pas non plus de la qualité des soins reçus. Il ne s’agit pas d’un cas de négligence médicale. Il ressort du dossier que leur fils a bénéficié d’un accès à des infrastructures et à des traitements médicaux, qu’il a suivi gratuitement un traitement approprié et disponible dans les hôpitaux nationaux mais aussi privés, et qu’il a été opéré et a subi une transplantation (paragraphes 5 et 9 ci-dessus). Les intéressés ne suggèrent pas non plus que l’État aurait dû financer le traitement de leur fils au motif qu’eux-mêmes n’avaient pas été en mesure d’en assumer le coût. Ils ne reprochent pas à l’État de ne pas avoir eu accès aux fonds publics, étant donné que, comme il a été établi par les juridictions nationales, les sommes collectées sur le compte bancaire ouvert à leur profit n’avaient pas été saisies par les autorités nationales et n’appartenaient donc pas à l’État. Ils ne critiquent d’ailleurs pas une absence de règles dans le domaine de la santé publique, mais plutôt la teneur des règles existantes relatives à la collecte de dons, qu’ils estiment trop restrictives. Au vu de la jurisprudence de la Cour résumée ci-dessus, il y a lieu de rappeler qu’il existe des obligations positives découlant de l’article 2 en matière de santé publique dans le contexte d’allégations de négligence médicale ou dans celui de refus de soins. Or les requérants ne soutiennent pas que leur fils s’est vu refuser des soins médicaux. La Cour estime que la présente affaire ne peut s’inscrire dans aucun des contextes de refus de soins médicaux décrits précédemment (paragraphes 48 et 49 ci-dessus).

51.Elle examinera le grief des requérants relatif à l’accès rapide au compte bancaire sur lequel avaient été déposées les sommes collectées du point de vue des obligations positives de l’État de mettre en place un cadre réglementaire pour la protection de la santé de ses citoyens. La Cour relève qu’en l’espèce il existait une réglementation sur les collectes de dons – les loteries ou les marchés philanthropiques et les conditions d’accès à des sommes provenant de collectes de dons visant à garantir la sécurité juridique et la protection des contributeurs, à lutter contre des phénomènes de fraude et à éviter d’exploiter le sentiment philanthropique du public. Elle constate ainsi la légitimité des buts poursuivis, à savoir la défense de l’ordre et la protection des droits d’autrui. Elle estime que ce cadre réglementaire ne concernait pas en principe le domaine de la santé publique et que l’article 2 de la Convention ne saurait être interprété comme exigeant que l’accès à des sommes collectées par un appel aux dons soit régi dans un sens précis.

52.La Cour ne perd pas de vue qu’une réglementation spécifique était à la disposition des requérants qui auraient pu demander en suivant la procédure devant les comités spéciaux de santé (paragraphe 21 ci-dessus) que l’hospitalisation de leur fils à l’étranger et même aux États-Unis soit financée. En effet, l’arrêté ministériel n°15 du 7 janvier 1997 prévoit en détail les conditions et la procédure selon laquelle une telle demande doit être soumise aux organismes sociaux afin de recevoir une décision favorable après un avis motivé établi par les comités spéciaux de santé. Les requérants ont soutenu qu’ils se sont adressés à des médecins traitants et aux comités de santé compétents qui ont exclu la possibilité de financer le traitement de leur fils à l’étranger. Même si la Cour ne saurait spéculer sur le résultat d’une telle demande dans la présente espèce, les requérants n’ont pas fourni d’informations concrètes montrant qu’ils ont suivi la procédure prévue par l’arrêté ministériel. La Cour ne saurait donc admettre que la situation susmentionnée nécessitait de prévoir, en tant que mesure préventive prise en vertu de l’article 2 de la Convention, une exception à l’interdiction d’organiser une collecte de dons en vue de financer un traitement médical.

53.La Cour note aussi que dans la présente affaire les autorités nationales étaient de bonne foi et qu’elles n’ont pas refusé de prendre des mesures en vue de compléter le cadre législatif relatif aux collectes de dons sur la base duquel les requérants se plaignent. Ces derniers avaient adressé le 13 juin 2000 une demande d’autorisation pour pouvoir transférer la somme d’argent nécessaire et ainsi couvrir les frais d’hospitalisation de leur fils. Or l’autorisation requise exigeait une modification législative qui devait être voté par le Parlement. Le 29 novembre 2000, la banque a transféré la somme de 35 216 EUR, en attendant qu’une modification du cadre législatif soit envisagée. Le 15 février 2001, soit huit mois après que la demande en question a été formulée, la loi n°2889/2001 modifiant le système des collectes de dons a été votée. Elle est entrée en vigueur le 2 mars 2001 et, le même jour, le ministre de la Santé a donné sans attendre l’autorisation en question (paragraphes 8-10 ci-dessus). Les autorités grecques n’ont pas refusé de s’employer effectivement à autoriser l’accès des requérants aux sommes collectées afin que leur fils puisse suivre son traitement.

54.La Cour considère qu’il n’est pas possible de répondre dans l’abstrait à la question de savoir si l’impossibilité d’avoir un accès immédiat à une collecte de dons d’argent pour financer un traitement à l’étranger entre ou non dans le champ d’application de l’article 2, dans la mesure où, à supposer même que celui-ci s’appliquerait, exigences liées à la protection de la vie n’ont pas été méconnues par l’État défendeur.

55.La Cour est certes consciente de la dimension tragique que revêtent les circonstances de l’affaire qui lui est soumise ainsi que la mort du fils des requérants deux jours après avoir obtenu l’autorisation ministérielle, soit le 4 mars 2001. Cependant, à supposer même que l’article 2 s’appliquerait, prenant en considération l’ensemble des circonstances de la cause et surtout le fait qu’une procédure permettant de demander un financement n’était pas exclue par le droit national, qu’il n’est pas clair que la situation à laquelle les requérants étaient confrontés était apparue auparavant et que les autorités nationales n’ont pas significativement tardé à prendre des mesures, la Cour ne peut que constater l’absence d’un élément quelconque donnant à penser que les autorités internes ont failli à une obligation positive leur incombant en vertu de l’article 2 de la Convention.

56.Eu égard à l’ensemble des circonstances susmentionnées, la Cour ne peut conclure à un dysfonctionnement résultant d’un manquement par l’État à son obligation de mettre en place un cadre réglementaire. En tout état de cause, elle ne peut constater l’existence d’un lien de causalité entre la conduite des autorités grecques et la survenance du décès de P.V. Elle ne perd pas de vue que l’hôpital Memorial Sloan Kettering Cancer Center ;proposait un programme de thérapie pionnière pratiqué dans le cas particulier de P.V. qui, selon l’avis médical soumis par les requérants, pouvait statistiquement prolonger la vie des patients. Toutefois, il ressort du dossier que l’hôpital n’avait envoyé qu’un document informatif sur le programme de thérapie et ses méthodes alors que l’évaluation médicale individualisée de leur fils devait avoir lieu lors du rendez-vous prévu à l’hôpital le 5 février 2001"



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